(-:


Article paru en 1992 dans l'Insecte, éphémère journal de l'INSA de Toulouse, école d'ingénieurs que fréquentait Patrick Godeau, alias Paddy McGuinness.


MUSIQUE EN AVEUGLE

Affiche concert Les Méduses / Stonehenge

Ces deux noms ne me sont pas totalement étrangers. Le premier évoque une autre affiche punaisée chez Croc Vinyl et sous-titrée «groupe psychédélique» ou quelque chose comme ça, ce qui ne manque pas de titiller le vieux Pink Floyd d'avant 69 qu'est votre serviteur. Le second aurait été entendu sur les ondes de Canal Sud (92.6) et semble annoncer une formation progressive d'inspiration celtique, ce qui ne laisse pas de charmer l'adorateur de Genesis (d'avant 75 par pitié) doublé du folkeux à tendance irish dont j'assume la personnalité. Bref, dans le vide intersidéral de mon emploi du temps, je marque d'une pierre mégalithique et blanche la soirée du 27.

Vendredi, 20 h 15. Le Théâtre du Taur est une petite salle, m'a-t-on dit. Les gens vont se RUer par milliers, me suis-je dit. Mais on dit beaucoup de choses. Retrouvé tonton et cousine, avalé demi, rejoint P et S, payé entrées, visité pissotière (datant paraît-il des années 20; ne semble pas avoir été nettoyée depuis), re-bière, re-pissotière. Une poignée d'individus parsème la salle, parmi quelques effluves de provenance douteuse et néanmoins cônique, alors que P et S ont attaqué une partie d'échecs en aveugle et que tonton menace de partir.

22 h et quelques. Sur scène, un chevelu qui paye pas de mine annonce timidement le premier morceau : «Stonehenge». Quelques notes de flûte traversière. Quelques gazouillis de guitare. On dirait que c'est parti. Là, tout près du public endormi et pourtant à cent mille années-lumière, quatre chevelus téléportés de la galaxie seventies par une faille spatio-temporelle connue d'eux seuls sont en train d'invoquer les dieux du progressif. Ces types-là, avec leurs tronches de druides, sont agités comme des monolithes. Non, ces barbus ne viennent pas des seventies, mais bien d'il y a quatre mille ans. Les micros craquent et la douze-cordes n'est pas branchée : la technique, elle aussi, est loin derrière. Devant la scène, un ivrogne qui s'est trompé de planète balance des obscénités. Le tonton se casse en regrettant Guy Béart. Par trois fois, le public ahuri croit à la fin du morceau, et celà repart toujours plus fort, jusqu'au déluge final, salué par quelques applaudissements rachitiques et soulagés, couverts sans peine par les hurlements du pochard, alors que le chanteur annonce froidement le titre suivant : «Ivresse morte». Pendant quelques instants, à cause de la fumée, de la fatigue, ou simplement pour ne plus voir, je ferme les yeux.

Entracte.

Décor : sur la scène, huit méduses en carton aux couleurs hallucinogènes et néanmoins fluo. Ceux-là c'est sûrement des Pink Floyd, me dis-je. Mais on dit beaucoup de choses. Gratteux baba aux cheveux courts, énorme pendentif peace & love sur chemise à cœurs. Type à la dégaine de rocker. Pianiste androgyne. Intro fugue de Bach. Rythmique funky. Le rocker enlève son blouson noir : chemise violette à liseré rose. Gloussements de fauve en chaleur, gesticulation, roulement par terre. Une méduse folle survole la scène en diagonale. C'est le succès. Les groupies se massent au premier rang, poussent le poivrot de service, montent sur la scène. «Born to be wild» en rappel. C'est le délire.

Les échecs sont un drôle de sport. Il se pratique couramment sur une surface carrée divisée en 64 cases, avec seize pièces noires et seize pièces blanches. Certains joueurs inventent de nouvelles pièces, comme le dindon sauvage.

Les vrais joueurs n'utilisent pas d'échiquier. Il y a deux manières de le faire. Mais finalement, on joue toujours seul.

Paddy McGuinness

PS : Stonehenge samedi 5 au Petit Diable.

PPS : Il y a aussi deux manières de faire de la photo. Ceux qui ont vu l'expo de novembre au Château d'Eau sauront de quoi je parle.

:-)