(-:

Il était une fois Stonehenge

Septembre 1991. Sébastien Siozade, fuyant la banlieue parisienne, s'installe à Toulouse la même année qu'Olivier Roy qui arrive du Mans. Après que celui-ci ait passé une annonce pour chercher des musiciens, celui-là se pointe et dégaine guitare, overdrive et delay. Olivier réplique en sortant clavier, haschisch et bière. Une demi-heure d'improvisation est alors enregistrée, qui conditionnera les trois années à venir, car sur cette cassette, où il est écrit «bœuf celtique», était né le morceau Stonehenge, quasi ex nihilo et in extenso.

Décembre 1991. Sébastien (dit Zad) rencontre Benoît Turcotte, batteur du groupe québecois Silence, spécialisé dans les reprises de Pink Floyd plus vraies que l'original. Benoît rejoint la bande, qui expérimente sa vision musicale dans des fêtes et soirées. Lors de l'une d'elles, on leur présente Éric Lopez, guitariste venu de Nîmes. Celui-ci accepte de prendre la basse pour une jam dans la petite cave voûtée de la rue des Filatiers, lieu de séances d'impro bouillonnantes et mémorables. Le groupe est né.

Février 1992. Sébastien et Olivier ressortent le fameux enregistrement «celtique». Les structures sont méthodiquement mises en place, tout en laissant de larges plages d'improvisation, désormais caractéristique du groupe. Éric propose une partie chant, et le morceau prend forme. D'autres pièces tout aussi importantes naissent de cette période féconde : les Ivresses mortes, morceau prenant et complexe chanté par Zad, et 2L3, long instrumental aux multiples changements de rythme.

Mais Benoît doit rentrer au Québec, son séjour en Europe prenant fin avec l'expiration de son visa. Éric présente alors un batteur qu'il connaît, Laurent Fompudie, grand fan de Led Zeppelin et de musiques progressives, et le groupe de redécoller vers de nouvelles galaxies.

Avec l'appui de Franck Gautier, le groupe crée l'association Artodrome, qui investit le théâtre du Taur abandonné depuis des années pour y organiser spectacles et performances plastiques avec des artistes locaux. C'est là que, le 10 avril 1992, Stonehenge (qui trouve enfin son nom grâce au frère d'Olivier) donne son premier concert et joue pour la première fois la pièce éponyme.

Dans les mois qui suivent, une quinzaine de concerts sont donnés dans des salles, squats et bars de Toulouse, avec des performances des peintres Laul et Anne Gébeily réalisant des fresques lors d'improvisations du groupe. Tandis que Sébastien part dans de longues envolées de guitare aériennes et déstructurées façon Syd Barrett, Olivier remplit l'espace de ses interventions puissantes et inventives à la Genesis, Éric délaisse parfois la basse pour improviser à la flûte traversière, et Laurent, stimulé, expérimente à son tour sur sa batterie. Stonehenge trouve sa cohérence, et se lance dans des morceaux à la fois très structurés et complètement improvisés, pouvant atteindre trois quarts d'heure certains soirs.

L'un de ces soirs, le 27 novembre, dans l'auditoire assez clairsemé du théâtre du Taur, un spectateur est tombé sous le charme. (Lire la chronique «Musique en aveugle».) C'est Patrick Godeau, qui désormais suivra le groupe presque à chaque concert et finira par sympathiser.

Février 1993. De façon soudaine et inattendue, Éric abandonne Stonehenge, vend ses meubles et instruments, et part sur les chemins en quête de son être mystique. On ne le reverra plus pendant des années. À la fin d'un concert, Olivier annonce que le groupe cherche un nouveau bassiste. Cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, mais dans celle, qu'on dit affûtée, de Patrick, et c'est un nouveau chevelu qui se joint à la troupe hirsute.

Le quatuor poursuit sa recherche musicale. Un autre grand morceau est créé, les Clowns exsangues, rock énergique et décalé chanté par Olivier. Dans la nuit du 21 au 22 août, Stonehenge se livre à une expérience musicale en plein air dans la vallée de Coulou, chez l'acousmaticien Philibert Lamotte. Par ailleurs, Patrick et Sébastien créent l'émission Deux ou trois feuilles, sur la radio Canal Sud, prétexte à divagations en tout genre sur fond de musiques psychédéliques.

Décembre 1993. Le groupe se cotise et enregistre son titre phare au studio Madrigal de Philippe Daix, en compagnie de Paddy le Mercier au violon et Stéphane Morel à la flûte. Une poignée de cassettes sont distribuées aux amis et déposées chez des disquaires toulousains, et un unique CD est gravé.

Mais Patrick est rattrapé par le service national, et doit s'envoler pour le Cameroun en janvier 1994. C'est Jean-Louis Simon qui prend la relève, pour notamment un concert à Ramonville et une mini-tournée bretonne.

L'année 1994 voit cependant le groupe se déliter peu à peu. Perturbé par ses histoires amoureuses compliquées, Sébastien fréquente à l'excès les bars et abuse de toutes sortes de psychotropes, n'arrangeant en rien sa mésentente avec Olivier. De retour en France, Patrick assiste le 3 juin 1995 à un ultime concert à la chapelle Jeanne-d'Arc. Puis Olivier quitte Toulouse pour Orléans, marquant la fin de Stonehenge.

Sombrant dans la dépression, Sébastien se réfugie à la campagne. Continuant malgré tout la musique, il participe avec Laurent au Cri de Pavlov, puis à Saucerful. Prenant beaucoup d'acides, il reste plongé dans ses abysses, jusqu'à ce qu'en 1999 il retrouve Éric à l'institut bouddhiste où il était résident depuis des années. C'est le déclic libérateur qui lui fait retrouver l'énergie positive, et monter les groupes Hypnoise puis Alifie.

Pendant ce temps, à Orléans, Olivier mijote des chansons pop envoûtantes et singulières, et produit en 2004 sous le nom de Kwaï la démo Zone d'autonomie temporaire, dans laquelle il joue de tous les instruments.

Quant à Patrick, il entretient la petite flamme pendant de longues années, et produit enfin, au solstice de l'été 2010, le très attendu CD de Stonehenge.

:-)